
Les 3 questions pour Emmanuelle Joseph-Dailly
Anthropologue de formation, elle a enseigné aux Etats-Unis et travaillé au Proche-Orient, avant de rejoindre le monde du conseil pour travailler sur la transformation des organisations.
Auteure, coach et conférencière, elle enseigne en Grandes Ecoles (ESCP, Ecole Navale, Centrale…), notamment autour de son dernier livre, La Stratégie du Poulpe, sur le sujet de la bio-inspiration.
Elle a précédemment co-écrit « Développez l’engagement de vos collaborateurs » (2018) et « Les talents cachés de votre cerveau au travail » (2019).
1- Qui dit nouvelle année, dit bonne(s) résolution(s), laquelle ou lesquelles aimeriez-vous nous partager ?
Je regarde le monde dans lequel nous évoluons avec des yeux résolument optimistes et curieux sur notre époque. Je crois que nos entreprises ont un rôle majeur à jouer, dans la transition écologique et sociale, au travers d’une démarche de responsabilité comme d’une économie de partage et de sobriété. 2025 n’aura de sens que placé autour d’enjeux éthiques. Je crois que l’énergie la plus propre est celle que l’on ne consomme pas et qu’en tant qu’individus, le pilotage de notre énergie est une donnée clé pour affronter les enjeux de notre époque. Nous vivons un marathon. L’énergie se pilote, elle se module, elle se travaille.
Lorsqu’on se surengage quelque part, on se désengage quelque part ailleurs.
Une réflexion sur ces mécanismes me semble une résolution payante pour l’année qui s’ouvre.
Enfin, j’aimerais proposer à chacun de poser les yeux sur une ressource clé pour demain, dans le monde ultra-technologique et d’immédiateté qui s’offre à nous. Cette ressource, c’est un mode décisionnel.
Plus encore, c’est le mode par défaut, le mode intuitif. Une richesse typiquement humaine, non concurrencée par l’IA, qui nous guide et nous éclaire dans notre processus de décision.
Elle s’appuie à la fois sur l’expérience et l’émotion.
Et la cultiver me semblerait une résolution 2025 intéressante.
2- Chez Berto, l’intelligence collective est une valeur fondamentale.
Comment accroître l’intelligence collective au sein de nos entreprises ?
Accroître l’intelligence collective dans une entreprise n’est pas un processus instantané. C’est un effort constant qui implique un changement de mentalité, l’adoption de nouveaux outils et la création d’une culture propice à la collaboration comme à la flexibilité mentale.
La recherche documente plusieurs aspects de l’intelligence collective. Je fais une différence de taille entre ce que l’on considère souvent à tort comme de l’intelligence collective et qui consiste en réalité à agglomérer des idées différentes ensemble, lors d’un brainstorming par exemple, en intelligence collectée et ce qui consiste à bâtir ensemble en intelligence réellement collective.
Bâtir une intelligence de groupe passe alors par une culture de collaboration, une communication fluide et transparente, sans crainte de jugement, qui valorise la diversité des opinions, des expériences ou de culture et encourage les synergies. Les outils collaboratifs doivent alors accompagner ces transitions pour permettre de partager des informations et d’assurer le suivi des projets de manière transparente et en temps réel. La recherche met en évidence le rôle de l’intelligence émotionnelle dans la création de collaborations réussies, allant jusqu’à montrer les apports de groupes mixtes hommes / femmes dans cette attention nécessaire portée aux signaux émotionnels émis.
C’est dans une dynamique de pouvoir déconcentré qu’opère l’intelligence collective, au travers d’expérimentations et de prises de risque calculées, qui valorisent les échecs comme les opportunités d’apprentissage.
L’intelligence collective ne peut s’entendre que si elle se nourrit des erreurs, des échecs, qui capitalisés, encouragent la créativité et l’innovation. La démarche itérative d’essais-erreurs a toute sa place pour tester des idées innovantes sur des échelles réduites avant de les déployer à plus large échelle et s’appuyer sur des retours d’expérience concrets.
Enfin, une culture de l’informalité, du feedback et de sa réception permet à chacun de progresser et de s’améliorer. Que ces derniers proviennent des clients, des collaborateurs ou des lignes managériales.
3- En tant qu’anthropologue, quelles sont les grandes tendances sociétales et/ou managériales que vous voyez émerger pour 2025 et plus généralement dans le monde de l’entreprise ?
Je propose peut-être déjà de revenir à ce qu’est un anthropologue, parce que c’est finalement un terrain de jeu peu connu du monde de l’entreprise et qui pourtant apporte des clés de lecture formidable pour décrypter le monde environnant.
Le mot anthropologie vient du grec ancien anthrôpos, homme, humain, auquel on a rajouté le suffixe logos, science, discours, parole. L’anthropologie est en conséquence une science sociale qui étudie l’Homme ou les groupes humains sous leurs différents aspects, notamment culturels. La discipline se marie donc très bien avec le monde du travail et des organisations, tant nos entreprises sont constituées de rites, de rythmes et de croyances. Elle permet un regard sur ce qui alimente les transformations.
Avec ces clés de lecture, mélangées à beaucoup d’autres évidemment, je perçois déjà évidemment une évolution vers des modèles de travail plus hybrides, empreints de flexibilité. La pandémie a fait office d’accélératrice de pratiques qui, probablement, auraient fini par émerger : l’adoption du télétravail, les modèles hybrides, entre présence et distance, pour tous ceux qui travaillent dans un bureau. La flexibilité du temps et des lieux s’est accrue, avec une valorisation accrue de l’équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle.
En parallèle, on voit croitre les préoccupations environnementales et éthiques, avec des entreprises qui intègrent de plus en plus la durabilité dans leurs modèles, du fait de la pression de leurs clients comme de leurs employés. La Responsabilité Sociale des Entreprises (RSE), associée d’une demande de leadership responsable les pousse à prendre en compte les enjeux sociaux, environnementaux et éthiques dans les décisions stratégiques, contribuant ainsi à une gestion plus inclusive des environnements professionnels.
Cela s’associe à des collaborations plus participatives, qui remettent en perspective des schémas anciens, au profit de dynamiques plus transversales.
Les attentes vis-à-vis des leaders ont changé.
Il y a 15 ans, ces derniers étaient attendus sur leur goût du risque, du challenge, leur courage. Aujourd’hui, les attentes ont muté vers davantage de stabilité émotionnelle, de capacité à fédérer un collectif, à être à l’écoute.
Le bien-être au travail et la santé mentale deviennent des sujets à part entière, a fortiori face à la transformation des valeurs sociales et à l’évolution des attentes des générations nées dans un contexte de mondialisation, de crise économique, climatique et de changements technologiques, qui ont des attentes différentes en matière de rôle du travail, de consommation ou de valeurs.
Leurs attentes vis-à-vis de l’autorité et de la hiérarchie ont évolué vers une vision plus égalitaire et la recherche d’autonomie et de liberté.
Une indépendance que l’on retrouve dans l’essor de l’économie collaborative (plateformes d’économie partagée, co-voiturage, location ou free-lancing, qui remodèlent les relations économiques et sociales) ou des nouvelles formes d’entrepreneuriat (modèles de travail indépendants, carrières multiples…)
Tout cela s’accompagne enfin d’un usage croissant de l’IA et des technologies qui modifient profondément les modèles de travail.
La collecte et l’analyse de données en temps réel deviennent désormais des outils clés pour la prise de décision alors que les sujets de traçabilité et de surveillance sont au cœur des enjeux éthiques et que la place de l’humain dans ce monde numérique va devoir être repensée.
Ces tendances soulignent un changement profond dans la manière dont notre société évolue au travers d’enjeux liés à la durabilité, au bien-être au travail, à l’automatisation ou encore à l’inclusivité.
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