Yasmine Iamarene (MiPi) : comment elle attire les femmes conductrices et réinvente le transport du dernier kilomètre

Les 4 questions pour Yasmine Iamarene

Yasmine Iamarene, fondatrice de MiPi, entreprise de livraison écoresponsable spécialisée dans la livraison du dernier kilomètre. Fin 2024, après 4 ans d’existence seulement, elle comptait 350 collaborateurs, 10 millions d’euros de chiffre d’affaires, le tout en mettant un sacré coup de talon dans la fourmilière puisque, chez MiPi, près de la moitié des conducteurs sont des conductrices !

 

Pour cet article spécial Femmes, nous avons essayé de comprendre comment elle a réussi là où tout le monde tâtonne encore…

1- Quand 5% des conducteurs de véhicules industriels en Europe sont des femmes

Comment faites-vous vous pour avoir plus de 40% de conductrices chez MiPi ?

Tout d’abord, j’aimerais dire qu’il n’y a pas de baguette magique pour féminiser une entreprise de transport. Il faut avoir conscience que chaque étape est un bouleversement, c’est une façon nouvelle de procéder. Et c’est vrai que notre écosystème est toujours étonné de ce chiffre de 40%. La démarche de féminiser est difficile, alors dans le contexte actuel du secteur, peu se mobilisent. Cela ajoute une contrainte supplémentaire et donc une énergie supplémentaire, que tous les dirigeants n’ont pas forcément à accorder à ce sujet.

 

Chez MiPi, nous avons déjà une chance supplémentaire en comparaison avec votre business model par exemple : nous sommes une entreprise de livraison du dernier kilomètre, très majoritairement avec des véhicules légers pour lesquels le permis B suffit. Mais même pour les permis C, ce ne sont pas de longues périodes de formation à mettre en place, il est donc facile de convaincre les femmes de venir essayer.

2- Vous répétez au fil des interviews comme un mantra, « nous, les femmes, on va les chercher »

Mais…comment avez-vous fait concrètement ?

La difficulté dans notre métier, c’est l’appréhension et la gestion des clichés. Par nature, les femmes ne sont pas attirées par le monde du transport car il faut dépasser trop de barrières. La démarche de sensibilisation à faire est capitale ! Si on reste assis derrière son ordinateur à consulter uniquement les plateformes de recrutement, il n’y a pas de miracle, on ne trouvera pas ces femmes. Alors oui, il faut aller les chercher ! Cette démarche induit un changement du métier de ressources humaines. Et le rapport de force s’inverse. D’ordinaire, les chargés de recrutement récoltent des CV et ont le luxe de choisir. Là, il faut aller draguer, séduire et convaincre ! Le métier n’est plus exactement le même. C’est ce qu’on s’est appliqué à faire chez MiPi.

 

Il faut s’entourer des acteurs locaux (associations, Mission locale, France Travail). On crée du lien, on rencontre des gens qui nous font confiance et qui parlent de nous. Et quand on a trouvé ces femmes, on découvre un deuxième paramètre à prendre en compte : accepter qu’elles ne soient pas efficientes tout de suite, parce qu’elles découvrent tout du métier. On a c_onstaté sur le terrain, que les gens sont plus durs avec une femme. On a plus de patience lorsqu’il s’agit d’un homme. Il faut dépasser ce biais cognitif !

3- À l’heure où les masculinistes parlent plus haut et plus fort que jamais, forte de votre expérience,

Pouvez-vous nous dire quelles sont les vertus du féminin et de l’égalité femmes/hommes dans le business ? En quoi c’est une dynamique porteuse de compétitivité et d’attractivité ?

Il n’y a qu’à regarder par le prisme de nos clients. Ça leur est bien égal de savoir qui est derrière le volant ! Et ça, c’est essentiel. Le principal pour eux est que le métier soit bien fait.

Chez certains clients, nous n’avons aucune conductrice et chez d’autres, nous sommes à plus de 60%. Cela dépend de plusieurs facteurs, mais on observe des disparités selon les régions. Il est plus facile de recruter des femmes dans certaines zones de France que dans d’autres. La cooptation fonctionne très bien chez les femmes. Lorsqu’elles se sentent bien, elles en parlent autour d’elles et on voit naitre parfois, surtout avec la nouvelle génération, de vrais réseaux de copines qui rejoignent l’aventure MiPi !

Je trouve que le métier de livreur est l’un de ceux qui compte le plus d’inégalités d’un poste à l’autre, selon la longueur de la tournée, la zone géographique, le nombre de points à livrer, le poids des colis, etc. De fait, il y a certains types de contrat qui sont difficiles à féminiser, mais j’irai même plus loin : il y a certains métiers qui ne sont pas faits pour 80% de notre population de livreurs, hommes et femmes confondus !

Dans ces cas précis, on arrive toujours à féminiser le reste de l’activité support, à l’exploitation ou dans des postes administratifs.

Chez MiPi, ce n’est jamais un sujet car ça fait partie de notre ADN, c’est notre équilibre naturel. Et chacun le respecte. Je n’ai pour autant aucune volonté d’arriver à 100% de femmes dans mon entreprise. Il faut conserver un équilibre sain car chacun apporte à l’autre.

4- Que ce soit par conviction ou par nécessité – notamment sur un métier en tension – le transport a besoin des femmes !

À votre avis, que devrions-nous faire collectivement pour accélérer le développement de la parité et renverser cette image très masculine de notre secteur ?

La première question que je me suis posée lors de mes débuts dans ce secteur d’activités, c’est : pourquoi il n’y a que des hommes ?

En creusant le sujet, deux éléments m’ont sauté aux yeux avec l’idée que l’un pouvait être la solution de l’autre. Nous sommes dans un secteur qui souffre d’une pénurie importante de main d’œuvre. Les entrepôts ou sites logistiques sont majoritairement en banlieue pour la région parisienne, ou en zone rurale, là même où les femmes souffrent le plus de précarité. Féminiser le métier, ça permet de résoudre un problème de pénurie de collaborateurs, qui impacte directement la qualité de service et des conditions de travail des livreurs et en parallèle, ça donne de l’emploi à des femmes ; c’est aussi leur offrir une option que la société les a conditionnées à écarter de leur réflexion.

 

Pour moi, cela fait partie du grand défi actuel dans le monde du transport. Il faut redonner ses lettres de noblesse au transport et requalifier le métier. Pour cela, il faudrait créer une coalition des géants du transport pour dire : « On veut que les choses changent ». Et là, on aura l’espoir d’être entendus. Aller chercher les leaders pour bousculer le secteur, en faire un sujet collectif qui a du sens, je suis prête !

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